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Le son et le silence par José Le Roy

Voici un extrait d'un de mes livres, Le saut dans le vide, Edition Almora :

 

 

"La vue est une porte grande ouverte pour nous éveiller à ce que nous sommes ; c'est pourquoi les sages des grandes traditions sont souvent appelés « les voyants » (Rishis par exemple dans les Upanishads). Mais en réalité tous les sens peuvent nous permettre de voir notre véritable nature, et en particulier l'ouïe et les sons. Maitre Ying An (1103-1163) écrivait :

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« Quand l'essence du voir est partout, il en est de même de l'essence de l'entendre. Quand on pénètre clairement les dix directions, il n'y a plus de dedans ni de dehors. »[1]

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Je l'ai réalisé plusieurs mois après ma première rencontre avec Douglas Harding. C'était au Taillé en juillet 1993, dans ce centre en Ardèche où Douglas animait un stage d'une semaine chaque été. Je me trouvais un après midi assis dans le jardin, quand j'entendis soudain le bruit d'un tracteur, non pas hors de moi-même et loin, mais en moi-même et tout proche. En fait, j'avais le tracteur quelque part « dans mon cou ». Ce fus un moment de stupéfaction et à la fois de délice. Le son avait une qualité tout à fait nouvelle ; il émanait de moi-même et me révélait un espace de silence vaste et sans forme. Ce son si banal du tracteur me remplissait d'une béatitude  infinie comme si j'entendais la musique des anges.

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Je me suis souvenu alors d'une expérience semblable vécue quand j'étais enfant,  entre 4 et 9 ans lors des nuits de Noël.  Cela se produisait particulièrement cette nuit là parce qu'en ce jour spécial j'avais le droit de rester tard avec les adultes et de me coucher sur le canapé du salon tandis que les hommes jouaient aux cartes et les femmes discutaient. Alors, vers vingt trois heures, fatigué par fête qui ne cessait de se prolonger, je fermai les yeux et... je m'éveillai à cet espace d'une jouissance incroyable, vaste silence, traversé par les voix. Cela se produisait chaque année comme un miracle, comme une naissance en moi. Les paroles rassurantes des adultes me révélaient un silence vide et plein. Je me retrouvais soudainement vaste, immense, sans localisation et sans corps. Comme j'associais ce bonheur à la nuit joyeuse de Noël, j'attendais ainsi chaque année cette soirée en espérant secrètement pouvoir revivre ce moment merveilleux. C'était mon plus beau cadeau. Je sais maintenant que cette nuit là, le Christ naissait en moi.

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Depuis ce moment de mon enfance, j'ai retrouvé et compris ce qui se passait naguère et qui se passe maintenant, à chaque instant. Depuis cet été de 1993, les sons, tout comme les formes et les couleurs, m'éveillent à ma vraie nature. Chaque son, en effet,  peut nous rappeler au silence infini et sans forme, au vide conscient de notre vraie nature. Ce n'est pas un individu, ce n'est pas une oreille qui écoute, mais l'espace silencieux, la source, l'absolu.

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A chaque instant, Christ nait en soi, car il est notre Soi."

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[1] Maitre Ying An, cité par Thomas Cleary, Zen, liberté intérieure, Editions Vega, 2002, p. 116.

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