La joie de l'anéantissement par José Le Roy
Dans la dernière vidéo que j'ai faite avec Franck Terreaux, Franck a dit quelque chose de très profond : "L'éveil ce n'est pas un plus, c'est un moins".
C'est un moins parce que quelque chose nous quitte, quelque chose d'immense s'anéantit, et cette chose c'est le moi, l'observateur, le penseur, le petit bonhomme ou la petite bonne femme à laquelle on s'identifie.
Ce petit moi fictif se cachait quelque part derrière les yeux, et nous cachait le monde.
Quand il disparait, surgit l'éveil.
Bien sûr, faire de l'éveil un moins et non un plus n'est pas très populaire. Ce que nous cherchons c'est le plus, le plein : le succès de la PLEINE conscience tient à cette promesse d'un plus, d'un enrichissement. La conscience VIDE aurait eu moins de succès. Nous voulons tous le PLUS, qui veut le MOINS?
Mais paradoxalement, c'est dans le moins que le plus se révèle; comme dit quelque part Maitre Eckhart, quand je me vide, Dieu me remplit. La seule chose que j'ai à faire, c 'est de laisser la place.
Pour être concret, aller vers le moins, vers le moins que rien même, c'est prendre conscience de l'espace vide au-dessus de mes épaules, ici, il n'y a rien, pas de moi, zéro.
Voici un poème de Rumi, le poète des dervisches tourneurs, qui chante l'anéantissement (al fana)
"Le feu a dit hier en cachette à l’oreille de la fumée :
« L’aloès ne peut me supporter, pourtant il se sent heureux avec moi ;
C’est lui qui sait m’apprécier, c’est lui qui me rend des actions de grâces.
Car l’aloès a trouvé un bienfait dans son propre anéantissement.
L’aloès était tout entier fait de noeuds, de place en place,
La joie de l’anéantissement a brisé tous ses noeuds.
O mon amie amoureuse de la flamme, sois la bienvenue » !
O toi que je martyrise et que j’anéantis, ô gloire d’entre les témoins !
Vois que le ciel et la terre sont à la merci de l’existence.
Enfuis-toi vers le néant, loin de ces deux infirmes.
Chaque âme qui fuit la pauvreté et l’anéantissement,
Oh ! chose déplorable ! s’enfuit loin du bonheur et de la joie.
Personne ne triomphe avant d’être anéanti :
O Bien-Aimé ! réconcilie-moi avec l’anéantissement !
Cette sombre poussière, avant d’être totalement anéantie
Ne peut être glorifiée, ni échapper à la stagnation.
Tant que l’embryon était l’embryon, que son état de germe n’avait pas disparu,
Il n’a trouvé ni la stature du cyprès, ni la beauté du visage.
Quand le pain et les aliments sont consumés dans l’intérieur du corps,
Ils se transforment en intelligence, en âme, en objet d’envie.
Avant que la pierre noire n’ait été entièrement anéantie,
Elle n’est devenue ni or, ni argent, ni métal des monnaies.
D’abord sont l’humilité et la servitude, puis vient la couronne du Roi des rois.
Dans la prière, on se tient debout avant de pouvoir s’asseoir.
Une vie entière, ta propre existence a été mise à l’épreuve ;
Mets une fois aussi à l’épreuve l’anéantissement.
Les fastes de l’anéantissement ne sont pas non plus un leurre ;
Partout où apparaît la fumée, cela prouve l’existence du feu.
Si l’amour n’a pas de desseins sur nous, s’il n’a pas pour nous de désir,
Quelle extravagance lui a fait ravir notre coeur et notre esprit ?
L’amour est venu nous prendre par la main,
Il nous amène à chaque aube à l’école de ceux qui « accomplissent les promesses ».
Des yeux des croyants il fait couler les larmes du repentir,
Afin qu’elles lavent le coeur de la négation et de la haine.
Tu es endormi, alors que l’eau de Khezr jaillit sur toi :
Lève-toi de ton sommeil et saisis la coupe de l’éternité.
Le reste, c’est l’amour qui te le dira, en cachette de moi.
Sois comme les compagnons de la Caverne, à la fois endormis et éveillés."
RUMI